A LA TÊTE DE LA CÔTE D'IVOIRE

Publié le par MOUKILI LE LION

felix houphouet-boigny 

UN PARTISANT DE L'AUTONOMIE

Suite à l’adoption, le 23 juin 1956, de la loi-cadre Defferre donnant l'autonomie aux colonies africaines, une élection territoriale est organisée en Côte-d’Ivoire le 3 mars 1957, au cours de laquelle le PDCI remporte une victoire écrasante[21]. Houphouët-Boigny, qui occupait déjà les fonctions de ministre en France, de président de l'Assemblée territoriale depuis 1953 (ayant succédé à Victor Capri Djédjé) et de maire d’Abidjan depuis novembre 1956[21], décide de placer à la vice-présidence de la Côte d’Ivoire Auguste Denise[22], même s’il reste, pour Paris, le seul interlocuteur de la colonie[2].

Le 7 avril 1957, le chef du gouvernement du Ghana, Kwame Nkrumah, en déplacement en Côte d’Ivoire, appelle toutes les colonies d’Afrique à prendre leur indépendance[23] ; Houphouët-Boigny lui rétorque alors :

« Votre expérience est fort séduisante… Mais en raison des rapports humains qu’entretiennent entre eux Français et Africains et compte tenu de l’impératif du siècle, l’interdépendance des peuples, nous avons estimé qu’il était peut-être plus intéressant de tenter une expérience différente de la vôtre et unique en son genre, celle d’une communauté franco-africaine à base d’égalité et de fraternité. »[24]

Contrairement à de nombreux dirigeants africains qui réclament une indépendance immédiate, Houphouët-Boigny souhaite une transition en douceur au sein de l’« ensemble français »[2] car, selon lui, l'indépendance politique sans l'indépendance économique ne vaut rien[1]. Aussi, donne-t-il rendez-vous à Nkrumah dans dix ans afin de voir lequel des deux eut choisi la meilleure voie[24].

Tout naturellement, il fait campagne pour le « oui » lors du référendum pour la Communauté franco-africaine, proposé par de Gaulle le 28 septembre 1958[25]. Seul son protégé guinéen, Ahmed Sékou Touré ose dire « non » préférant, à l’inverse d’Houphouët-Boigny, « la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage »[26]. Malgré ce succès, la communauté franco-africaine s'écroule peu de temps après, poussée par la fédération du Mali qui souhaite l’indépendance. Le 7 août 1960, Houphouët proclame à contrecœur, l’indépendance de la Côte d’Ivoire [2

 

L'INSTAURATION DU POUVOIR PERSONNE

 

Houphouët-Boigny prend officiellement la tête du gouvernement ivoirien le 1er mai 1959[28]. Il ne souffre d’aucune opposition en ce qui concerne les partis rivaux, le PDCI les ayant tous neutralisés en 1957 (devenant de facto unique)[21], mais il est en revanche, confronté à une opposition interne. Des nationalistes radicaux, menés par Jean-Baptiste Mockey, se dressent ouvertement contre sa politique francophile[22]. Pour résoudre ce problème, Houphouët-Boigny décide de se débarrasser de cet opposant en fomentant, en septembre 1959, le « complot du chat noir » où Mockey, accusé d’avoir tenté de l’assassiner avec des fétiches maléfiques, est exilé[29].

En 1960, Houphouët-Boigny se lance dans la rédaction d’une nouvelle constitution. Il s’inspire de la constitution américaine qui établit un exécutif puissant, et de la constitution française de 1958 qui limite certains pouvoirs du législatif[30]. Il transforme donc l’Assemblée nationale en une simple chambre d’enregistrement votant les lois et le budget[31] ; les députés sont désignés directement par lui[31], et le PDCI, totalement inféodé au président, doit se contenter de servir comme simple intermédiaire entre les masses populaires et l’État[32].

Mais, malgré ces mesures, des protestations émanent encore de l’intérieur, principalement des Jeunesses du rassemblement démocratique africain de Côte d'Ivoire (JRDACI). Pour les faire taire, Houphouët-Boigny profite du putsch réalisé au Togo et qui ébranle toute l’Afrique francophone[33] pour les accuser de « menées subversives d’inspiration communiste » [34] ; trois ministres, sept députés et 129 autres personnes issus des JRDACI sont alors incarcérés[35]. Toutefois, ce faux « complot de janvier 1963 » n’a pas le succès escompté puisqu'un fort sentiment d’injustice se développe, avec de nouvelles contestations[36]. Houphouët-Boigny réagit en août 1963, cette fois-ci de façon beaucoup plus radicale. Les nouveaux « comploteurs » désignés sont les sympathisants communistes ivoiriens appuyés par les dirigeants africains progressistes (Kwame Nkrumah, Ahmed Ben Bella, Gamal Abdel Nasser), mais aussi les francs-maçons, les tenants du multipartisme, les anciens opposants au PDCI, les jeunes diplômés revenus de France imprégnés d’idéologie marxiste-léniniste, et certaines régions du pays qui exprimaient une certaine antipathie envers le régime (pays Sanwi et Bété de Gagnoa)[37]. Un climat de terreur s’abat sur la Côte-d’Ivoire avec la création, le 26 août, d’une milice au service du parti regroupant 6 000 hommes, et l’arrestation, durant un an, de très nombreux « mauvais citoyens » dont sept ministres et six députés[38]. Houphouët-Boigny gouverne dès lors en dictateur. Toutefois, ayant consolidé son pouvoir, il libère les prisonniers politiques en 1967[39]. Il est réélu président à chaque élection sans aucune opposition.

Afin de déjouer toute tentative de putsch, le président ivoirien réduit au strict minimum les Forces armées nationales de Côte-d’Ivoire (FANCI), créées le 27 juillet 1960. La défense est alors confiée aux forces armées françaises qui, par le traité de coopération en matière de défense du 24 avril 1961, stationnent à Port-Bouët et peuvent intervenir dans le pays à la demande d’Houphouët-Boigny ou lorsqu’elles considèrent que les intérêts français sont menacés[40]. Elles interviennent ainsi lors des tentatives sécessionnistes organisées par les monarchistes du Sanwi en 1959 et 1969[41], puis, en 1970, lors de la création d'un groupement politique non autorisé, le Mouvement éburnéen mené par Kragbé Gnagbé, que le président ivoirien accuse de vouloir faire sécession[42],[12].

Houphouët face aux leaders de l'opposition
Gbagbo symbole de l'opposition

Laurent Gbagbo, syndicaliste actif dans les années 1970 dont l'enseignement est jugé « subversif », est emprisonné avec son épouse Simone Ehivet Gbagbo à Séguéla et à Bouaké de mars 1971 à janvier 1973 par Houphouët. Après sa libération, il travaille comme chercheur à l'Institut d'histoire, d'art et d'archéologie africaine de l'Université d'Abidjan, et en devient le directeur en 1980.

Laurent Gbagbo se fait connaître lors des manifestations étudiantes du 9 février 1982, dont il est un des principaux instigateurs, et qui provoquent la fermeture des universités et des grandes écoles. C'est durant cette année qu'il crée dans la clandestinité notamment avec Simone Gbagbo, le futur Front populaire ivoirien (FPI). Son exil en France est l'occasion de promouvoir le FPI et son programme de gouvernement. Bien qu’idéologiquement proche du PS et personnellement de Guy Labertit, le gouvernement socialiste français tente de l’« ignorer » afin de ménager Houphouët[43]. Ce n’est que trois ans plus tard que Gbagbo obtient son statut de réfugié politique, et ce grâce à un recours[43]. Cependant, il subit des pressions françaises pour retourner dans son pays, Houphouët s'inquiétant de le voir développer un réseau de contacts, et trouvant que « son remuant opposant serait beaucoup moins encombrant à Abidjan qu'à Paris »[44].

En 1988, il rentre en Côte d'Ivoire, Houphouët lui ayant implicitement accordé son pardon en déclarant que « l'arbre ne se fâche pas contre l'oiseau »[45]. Le 28 octobre 1990 a lieu l'élection présidentielle, avec pour la première fois une candidature autre que celle de Félix Houphouët-Boigny: celle de Laurent Gbagbo. Ce dernier remporte 18,3 % des suffrages, ce qui lui confère le statut de leader de l'opposition. Lors des élections législatives du 25 novembre 1990 le FPI obtient 9 sièges sur 175 ; Gbagbo, lui-même, est élu dans la circonscription de Ouaragahio où se trouve sa ville natale[46].

En mai 1991, puis en février 1992 ont lieu d'importantes manifestations étudiantes. Le 18 février (Alassane Ouattara étant alors premier ministre), Laurent Koudou Gbagbo est arrêté, et condamné le 6 mars à deux ans de prison[47] mais il est libéré en août.

Publié dans CÔTE D'IVOIRE

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